mercredi 14 mai 2014

MRS AYLWOOD NE VEUT PAS MOURIR (Johann G. LOUIS, 2013)


Susan Aylwood, star hollywoodienne oubliée, vit recluse dans sa maison normande, en compagnie de sa gouvernante, Caroline. Hantée par son passé et sa splendeur perdue, elle remâche ses souvenirs, tyrannise ses proches, et rêve d’un retour à l’écran. Mais qu’en est-il réellement de ce projet de film dont l’entretient son entourage ?


Avec Mrs Aylwood ne veut pas mourir, Johann G. Louis rend hommage aux divas de celluloïd des années 1930/40. Le titre du film fait clairement référence au « Hollywood ne veut pas mourir » martelé par Christophe dans la chanson « Señorita ». Les ombres de Norma Desmond (Boulevard du Crépuscule), de Margaret Elliot (The Star) et de Jane Hudson (Qu’est-il arrivé à Baby Jane ?) planent sur la retraite languide de l’acerbe Miss Aylwood.
Hollywood a la peau dure ; Hollywood est peau de vache.
Crispée sur son passé comme une naufragée sur sa planche de salut, la vieille dame trop digne confond horizon et abîme, promesses et remembrances, et discerne des reflets d’aube dans les derniers feux du couchant.


« Le personnage de Mrs Aylwood a été nourri de la lecture de multiples biographies d’actrices considérées aujourd’hui comme des mythes, notamment Bette Davis », déclare Johann G. Louis.
Parfaitement rompu à la culture Camp, le cinéaste livre une méditation ambiguë sur la force de l’illusion et la pérennité des mythes. La simplicité apparente de l’argument dissimule avec tact la complexité d’une intrigue basée sur l’artifice, et offrant, en conséquence, plusieurs interprétations possibles.
Il est difficile de commenter de façon soutenue un film reposant sur un twist final (ou « rebondissement », pour parler français) sans éventer ce dernier. Le critique se trouve dans l’inconfortable position dite « du cul entre deux chaises ». Faut-il préserver le coup de théâtre en renonçant à toute analyse ? Ne reste que le loisir de vanter les qualités techniques de l’œuvre (la photographie feutrée de Chloé Robert, trouant sa palette hivernale de quelques résidus de flamboyance ; la partition mélancolique d’Antoine Trameçon) et le talent des comédiens (dominés par une Geneviève Brunet impériale dans le registre de la vanité meurtrie). Faut-il au contraire faire fi de toute précaution (quitte à passer pour un goujat) et traiter ouvertement du sujet, là où le twist suscite précisément le débat ?
Le problème se pose avec acuité dans le cas de Mrs Aylwood ne veut pas mourir, tant sa révélation finale détermine ses qualités ou ses faiblesses, selon le point de vue du spectateur (et surtout, selon l’intention présumée de Johann G. Louis). Je ne peux me résoudre à passer sous silence,
sous prétexte de maintenir un effet de surprise, ce qui m’apparaît comme le premier centre d’intérêt de l’œuvre (son jeu sur l’artifice et sur son corollaire : le mensonge). Aussi conseillerai-je au lecteur souhaitant préserver sa fraîcheur d’approche d’interrompre ici sa lecture, et de ne la reprendre qu’après avoir visionné le film.


Le résumé du scénario qui ouvre cet article pose, dans sa première phrase, ce qui me semble être, sinon le problème du film, du moins l’un des facteurs de son ambiguïté. « Susan Aylwood, star hollywoodienne oubliée, vit recluse dans sa maison normande ».
Vous connaissez beaucoup de stars hollywoodiennes qui choisissent la Normandie comme lieu de retraite ? L’irréalisme du postulat insinue le doute quant à l’identité de Mrs Aylwood. Est-elle réellement celle qu’elle prétend être ?
En conséquence, la révélation finale ne surprend qu’à moitié : Caroline n’est autre que la fille de la vieille dame, et son soi-disant imprésario semble bien être un ancien amant. Quant au réalisateur du film en projet et à la comédienne censée lui donner la réplique, ils sont les antiquaires du village voisin. L’entourage de Mrs Aylwood la berce d’illusions pour adoucir ses vieux jours. Boulevard du crépuscule n’est décidément pas loin, où le majordome de Norma Desmond s’avérait être son ex-mari, infatigable rédacteur de lettres de fans imaginaires et consciencieux ordonnateur de chimères. Comme chez Billy Wilder, il est question d’un film hypothétique destiné à relancer la carrière de la comédienne, et dont chacun sait qu’il ne sera jamais tourné. 


Mais Norma Desmond était une star authentique. Pour ce qui est de Susan Aylwood, un sérieux doute est permis, que Johann G. Louis ne dissipe jamais. Cette irrésolution laisse le spectateur libre d’opter pour l’une ou l’autre des deux interprétations possibles. Soit Mrs Aylwood est une star véritable, soit elle n’est qu’une lunatique désargentée, admiratrice d’une déesse de l’écran ne survivant que dans sa mémoire, et à laquelle elle s’identifie. L’intrigue prend alors une autre dimension, et offre une réflexion autrement stimulante.
Si l’on retient la seconde option, Mrs Aylwood ne veut pas mourir apparaît comme une méditation troublante sur la pérennité du rêve hollywoodien et la puissance de l’artifice.  Le Hollywood des années 1940, dont Susan Aylwood se dit une survivante, reposait en partie sur une représentation Camp de la féminité. Il en offrait une image archétypale empreinte de glamour, d’émotivité, de sophistication, et très largement fabriquée. Les stars féminines, créatures factices élaborées par les studios, n’avaient souvent d’autre réalité que l’image qu’elles imposaient – ou qu’on leur enjoignait d’incarner. Leur statut d’idoles impliquait un état de représentation constante.
En adoptant cette attitude, la pseudo Mrs Aylwood ne fait que reproduire une façon d’être – perpétuer l’image d’un être façonné. Dans cette optique, il importe peu qu’elle soit ou non la vedette qu’elle prétend être ; la légitimité n’est qu’un élément accessoire, dans la mesure où son modèle n’était lui-même qu’une figure artificielle, un concentré d’illusions. Dès lors, ce que capte Johann G. Louis est l’essence même du leurre hollywoodien, rendu d’autant plus manifeste qu’il apparaît sorti de son contexte, libéré de son environnement naturel – et clinquant –, exposé au petit jour terne d’un réel dépitant.


Si, au contraire, Mrs Aylwood est vraiment une star oubliée, la réflexion perd de sa profondeur. Il ne s’agit plus que d’une évocation mortifère du glamour, non d’une exploration de ses mécanismes et de ses enjeux. Le discours sur la dichotomie réel / imaginaire se réduit à l’élaboration de mensonges familiaux et à une élégante célébration de la surface du rêve hollywoodien. Un détail confirme cette option : lorsque l’un des tableaux de la vieille dame est mis en vente pour renflouer ses comptes, un carton inséré dans le cadre indique qu’il « a appartenu à l’actrice Susan Aylwood ». C’est le seul élément laissant à penser que Mrs Aylwood est bien une idole déchue. Le fait que l’un de ses films soit diffusé à la télévision, de même que l’affiche décorant son boudoir, ne prouvent que l’existence d’une actrice nommée Susan Aylwood, non que la vieille dame soit celle-ci.
La beauté du film de Johann G. Louis réside dans ses équivoques. A l’image de son héroïne, Mrs Aylwood ne veut pas mourir est une œuvre secrète, pétrie de charme, d’amertume et de contradictions.


Bande-annonce :

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